Cinéma

Soul, une fable spirituelle et mystique

Le 25 décembre dernier, Pixar a sorti son dernier film en date : Soul. Personnellement, je suis assez vieux pour avoir vu Toy Story premier du nom lors de sa sortie au cinéma. Du haut de mes 9 ans et demi, ce film m’a fait tomber amoureux de l’animation en image de synthèse et de l’univers du studio d’Emeryville. Depuis, je n’ai pratiquement jamais manqué un seul de leurs films. Néanmoins, rarement une oeuvre signée Pixar n’a provoqué en moi autant de réflexion. C’est pourquoi il était logique de parcourir ensemble quelques thèmes théologiques et spirituels abordés par Soul dans le Septième monde. Si vous n’avez pas vu le film et que vous désirez rester vierge de tout spoiler, on se donne rendez-vous quand vous l’aurez vu !

Soul

L’âme, ce grand mystère métaphysique

Commençons par la grosse question métaphysique portée par Soul : le problème de l’âme. À coup sûr, les théologiens puristes vont tiquer sur une notion précise, qui est celle de la préexistence de l’âme. En effet, dans le film, les âmes sont forgées dans un lieu appelé le Great Before (le “Grand Avant”), avant de s’incarner dans un corps terrestre. À la mort du corps, l’âme se retrouve sur un grand Escalator sur le chemin du Great Beyond (le “Grand Au-delà”), afin d’être… annihilée ? réincarnée ? envoyée ailleurs ? Là-dessus, Soul reste assez silencieux.

Mais reste que le concept de préexistence des âmes, c’est-à-dire l’idée que mon âme existe avant ma naissance, est relativement étrangère à la tradition chrétienne, et interrogera sans doute pas mal de théologiens de ma tradition. Sur le sujet, on mentionne souvent le cas d’Origène (184-253), qui a enseignée l’idée que l’âme était créée par Dieu avant la naissance de l’humain. Mais globalement, la grande majorité de la tradition chrétienne a suivi l’avis du deuxième concile de Constantinople (553) en rejetant ce point de doctrine. Pour beaucoup, cela suffira à condamner le film en le jetant aux oubliettes des vilains hérétiques. Ce serait néanmoins passer de tout ce que le film peut offrir.

À titre personnel, l’idée de préexistence de l’âme humaine n’est pas un concept auquel j’adhère franchement. Ma conception de l’âme reste essentiellement portée par la narration biblique que l’on trouve dans les récits sur la création, mais aussi au-delà. L’âme, ce n’est pas une forme diffuse, mystérieuse et flottante qui s’envole de mon corps après ma mort. C’est avant tout ce qui fait que moi, je suis moi. La Bible le représente en termes symboliques lorsqu’elle parle de la création de l’humain ou de sa mort.

Dans le récit de Genèse 2, Dieu prend de la poussière du sol pour en faire un corps ; dedans, il insuffle la vie, il insuffle un souffle, autrement appelé l’esprit. Et l’alliance de ce corps issu de la poussière forge une entité unique, toute neuve, qui est l’âme de chacun. Lorsqu’un jour, ce sera mon tour de quitter cette vie (pour reprendre la terminologie symbolique de la Bible) mon corps retournera à la poussière, le principe de vie retournera vers Dieu et, de fait, mon âme… disparaîtra. Ce qui fait que moi, je suis moi, ne sera plus là. Mon existence restera dans le souvenir de mes proches, et dans le souvenir de Dieu, jusqu’au jour nouveau, où à la fin de l’Histoire et du Temps, tout sera réunifié, re-créé, ressuscité.

Mais en réalité, Soul ne s’intéresse pas vraiment à ces questions. Le film ne cherche pas à offrir une explication métaphysique cohérente à notre “âme”, mais avant tout à exprimer un élan fondamental de l’être humain vers l’existence, vers la vie, vers la réalisation de sa destinée.

Soul

Destin, destinée et vocation

Bien plus que l’âme, les notions centrales de Soul sont celles de Destinée et de Vocation. Joe, le héros du film, est un personnage qui ressemble probablement à beaucoup d’entre nous. Il voit un gouffre entre ses aspirations et sa vie. On le comprend dès la première scène : alors qu’on lui propose un job à plein-temps comme prof de musique dans un collège, il regarde les photographies de ses grands maîtres de jazz sur son bureau, et lance ce regard typique qui semble affirmer : “Ma vie ne ressemble pas à ce que j’aimerais qu’elle soit !”. Il se rêve et s’imagine musicien professionnel, et il se voit professeur pour collégiens démotivés et plus ou moins médiocres. Sa vie n’est pas conforme au destin qu’il s’imagine.

C’est dans le Great Before qu’il découvre l’étincelle, la destinée, c’est-à-dire ce petit quelque chose qui donnera du goût à la vie et un sens à l’existence. Joe part alors en quête obsessionnelle de “ce pour quoi il est en vie”, la chose qu’il a à accomplir, sa destinée, sa vocation : la musique. Mais Joe découvrira en chemin, en accompagnant 22, que destinée et vocation ne sont pourtant pas la même chose.

D’un côté, la vocation est (au sens le plus étymologique) un appel. Souvent comprise comme d’orientation religieuse, elle touche pourtant tous les domaines de la vie, comme le protestantisme l’a souvent rappelé à la suite de la Bible. Vivre sa vocation, c’est répondre à l’appel qui m’est lancé de servir là où je suis, au-delà même d’une simple dynamique professionnelle. La vocation n’est pas nécessairement forgée dans le marbre. Elle peut évoluer, en fonction des lieux, des saisons de la vie. Personne ne naît avec une seule vocation monolithique. On vit même souvent plusieurs vocations à la fois. Choisir sa vocation, c’est une manière d’agir, de faire ce que je suis appelé à faire. Dans Soul, le principe de vocation est illustré au mieux dans le film par l’ami coiffeur de Joe : il s’imaginait vétérinaire, se retrouve coiffeur, et donne tout ce qu’il a au service de sa vocation de coiffeur.

Il en va différemment pour la destinée, qui me semble elle-même à distinguer d’un simple Destin fataliste, où tout serait écrit d’avance. La destinée se place davantage du côté d’un élan général, où je sens ma vie portée par un projet que je ne maîtrise pas, par quelque chose qui me dépasse. Elle se place sous le signe d’une grâce, d’un don, et représente l’étincelle qui me rend le sentiment d’être vivant. Vivre sa destinée, c’est se mettre au diapason de son être. Dans Soul, Joe confond ainsi sa destinée, son être, avec sa vocation, à savoir ce qu’il est appelé à faire. Il voit sa vocation comme une destinée qu’il doit suivre et mener à tout prix. Il voit l’étincelle dans un faire, dans un accomplissement, et découvre au long du chemin qu’il s’est trompé de route.

Soul nous présente ainsi une vérité fondamentale : notre destinée, ce n’est pas la poursuite de nos réalisations, ce n’est pas l’accomplissement d’une vocation. C’est simplement de vivre. La vocation joue son rôle lorsque je cesse de courir après elle pour simplement la vivre dans la reconnaissance de ce qui m’est déjà donné. Pour l’exprimer en termes théologiques et spirituels : la vie est une grâce, et toutes mes oeuvres sont vécues en reconnaissance de cette grâce.

Soul

L’instant de l’éternel présent

Dans Soul, Joe comprend cette différence à travers une forme d’épiphanie. Face à la déception sur sa propre vocation qui n’est pas l’apogée qu’il attendait, il comprend que la destinée de l’être, c’est vivre. Il découvre ce sentiment alors qu’il est assis seul devant son piano, dans la plus belle scène du film, et qu’il pose les objets de la vie terrestre de 22 devant lui. Il découvre ainsi qu’une sucette, un costume, une vague qui mouille des pieds dans le sable, un lever de Soleil, une bouche d’aération de métro, un morceau de musique joué avec passion, un temps partagé, un feux d’artifice ou une croûte de pizza peuvent être autant remplis de sens que sa vocation/destin accomplie.

À mes yeux, Joe vit ici une forme d’expérience mystique, où subitement, il se sent uni à son quartier, à sa ville, à sa planète, à l’univers. Il vit cet instant hors du temps des mystiques, à la fois bref, passager et éternel, où il considère à la fois son individualité et son unité avec toute chose (pour un petit débrief’ sur l’expérience mystique, je vous conseille humblement le premier épisode du podcast Exotériques !). Les uns diront qu’il se sent alors connecté à l’Univers avec un grand U. Pour moi, c’est encore beaucoup trop petit : après tout, l’univers reste du domaine du créé. À mon sens, même s’il a fait l’expérience de la mort, du retour à la vie, c’est seulement là qu’il fait véritablement l’expérience de l’Éternité.

Pour moi, cette scène de Soul touche particulièrement, car elle nous fait saisir visuellement, avec une grande maîtrise, ce que le croyant vit de manière malheureusement souvent trop brève dans sa spiritualité. C’est que Jésus appelait le Règne de Dieu. Ce que j’aime bien appeler, pour faire mon malin, l’éternel présent : un instant où tout semble accordé, où tu es en phase avec toi-même, avec le monde, et avec celui qui est à la source de toute chose (à savoir Dieu). Un instant bref et éphémère et pourtant hors du temps, où tout te semble présent, un avant-goût limité et fugace de l’Éternité.

Je crois que nous vivons malheureusement dans un monde de Lost Souls, ces âmes perdues qui errent dans la “Zone“, déconnectées de leur être fondamental. Le monde de 2021 nous montre un visage déshumanisant, réduisant l’humain à un objet, à un outil remplaçable dans l’engrenage. La société occidentale s’est transformée en système de malédiction, bon à fabriquer des 22 à la chaîne qui ne se sentiront jamais suffisamment bons, courant après une vocation perdue, car coupée de leur destinée. En replaçant la destinée véritable et l’éternité au coeur de son propos, Soul offre une voie de sortie qui, je l’espère, saura en bouleverser plus d’un.

Soul est disponible depuis le 25 décembre sur Disney+.

Jean-Philippe
Pasteur de l'UEPAL à Sainte Marie aux Mines, il apprécie les questions liées à l’expérience spirituelle, le partage autour des textes de la Bible et l’exploration des liens entre théologie et culture.

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